UN CONTE WATCHI
Le texte que nous publions aujourd’hui est la transcription-traduction d’un conte watchi. Le watchi est une variante de la langue ewe ; il est parlé localement dans des communautés en zone rurale au Togo.
Merci à l’écrivaine togolaise Afiwoa Koudri pour le récit en wacthi.
Mia bé núnyá tovò
Votre sagesse est au delà de la nôtre
– Écoute un conte, veux-tu ?
– Que le conte vienne !
Le conte roule et s’enroule jusqu’à tomber sur un roi.
Dans son royaume, ce roi ne donne jamais suite aux plaintes des citoyens. Lorsque ces derniers viennent se plaindre de quelque chose, ce roi a pour coutume de répondre « ça ne fait rien, ce n’est pas grave, laissez tomber. ». Peu importe ce qui arrive, le roi répond ça ne fait rien, ce n’est pas grave, laissez tomber.
Un animal sauvage a ravagé les champs cultivés de quelqu’un ? Le roi répond ça ne fait rien, ce n’est pas grave, laissez tomber.
Un tel a dérobé des biens à son voisin? le roi répond ça ne fait rien, ce n’est pas grave, laissez tomber.
Litige entre conjoints. On a haussé la voix ? On a levé la main sur son épouse ? La situation a dégénéré ?
Chaque cas porté en jugement devant le roi reçoit le même verdict de ce dernier :
– « Ça ne fait rien, ce n’est pas grave, laissez tomber. »
Ça ne fait rien, ce n’est pas grave, laissez tomber : voici l’unique verdict du roi de ce royaume… Jusqu’au jour où des habitants du royaume, exaspérés, se fâchent sérieusement. Ces habitants sont fâchés, ils sont en colère au point d’en perdre leurs moyens : Ah, ce roi, de toute évidence rien de malheureux ne lui est jamais arrivé… – se disent-ils.
Que faire? Comment se conduire avec le roi?
Le souverain n’a qu’un seul enfant, un fils. Quand il trépassera, ce fils unique devra lui succéder sur le trône.
Les habitants indignés décident donc de monter un complot : ils provoqueront un malheur contre le roi, ils verront alors s’il restera toujours impassible. Ils déclencheront une tragédie pour mesurer ô combien le roi sait répondre ça ne fait rien, ce n’est pas grave, laissez tomber.
Il se trouve que le fils unique du roi avait l’habitude de galoper, se promenant partout dans le royaume, traversant les champs, les domaines, les terres. L’héritier du trône avait l’habitude de chevaucher par plaisir jusqu’aux confins du royaume et parfois même jusque dans les royaumes limitrophes.
Les comploteurs se mettent à guetter le moment où le chevalier partirait encore en promenade. Et le moment tant attendu arrive assez rapidement.
Quelle meilleure opportunité de mettre en œuvre le plan ?!
Très vite, certains d’entre eux vont se cacher loin sur le parcours du prince. Ils vont attendre patiemment le moment de son passage par l’endroit désigné.
À ce moment là oui, ils le blesseront lui assénant un coup bien adressé, mais il ne le tueront pas. Non ! Ils ne le tueront pas. Une fois qu’il sera tombé du cheval, ils le déshabilleront et s’empareront de ses vêtements. À sa place, ils tueront un animal. Et le sang de cet animal servira à imbiber les vêtements et parures du prince.
Ensuite Ils emmèneront au roi les vêtements imprégnés de sang de l’unique prince du royaume. Ils diront au souverain :
– « Notre roi, un animal sauvage a dévoré votre fils unique. Morceau par morceau, l’animal a fini par entièrement le dévorer. Nous avons vu l’animal mais nous n’avons pas trouvé de restes mortels de votre fils unique le prince. »
Au galop sur son cheval, le fils unique du roi entreprend sa promenade habituelle. Mais à l’improviste, un serpent saute d’un arbre et effraye le cheval. Le chevalier au galop perd le contrôle de sa monture. Le fils unique du roi tombe ruineusement et se casse une jambe, Il hurle, hurle de douleur.
Les paysans labourant les champs tout près de là accourent, le soulèvent de terre et l’amènent au palais royal.
Venus à connaissance de l’incident, tous les autres habitants accourent au palais et se mettent à pleurer le malheur du prince « aaoh, notre prince est blessé, aoh malheur est arrivé à notre prince ».
C’est alors que Le roi intervient :
– « Pourquoi s’affoler ? Ce n’est rien, ce n’est pas grave, laissez tomber.
L’auditoire perplexe s’échange des regards éloquents : « Vraimeeent, ce roi…»
Entre-temps, les habitants comploteurs ont rejoint le palais royal, se sont mêlés au grand rassemblement. A’ présent ils observent avec autant de perplexité la réaction du roi.
Ce dernier ne prononce que ces quelques paroles :
– Si cela n’était-il pas arrivé, qui sait si un pire malheur n’aurait pas atteint le prince plus loin sur la route ?! Donc ne vous affolez pas : ce n’est rien de grave, laissez tomber.
Alors les conspirateurs comprennent. Ils comprennent et veulent que le roi sache. L’un d’entre eux lève la main et demande la parole.
– « Aujourd’hui nous avons enfin compris le sens de vos mots, notre roi. En vérité, nous n’avions qu’une idée en tête : vous faire croire à la mort de votre fils unique, le prince. Nous nous étions cachés pour le guetter ; mais le cheval effrayé a mis un arrêt à sa promenade. De ce fait, votre fils unique, le prince, a échappé au piège plus loin sur son chemin. Et là, nous vous écoutons répéter ce que vous dites toujours. Nous pouvons enfin le comprendre, notre roi : votre sagesse est au delà de la nôtre. C’est pourquoi nous vous sommes reconnaissants et vous remercions.»
C’est ainsi que la paix descendit sur le royaume.
https://manuskritur.com/wp-content/uploads/2021/01/Mia_be_nunya_tovo_watchi1W.mp3
Traduit par KeMa.
Merci à Sarah A. pour la révision du texte en français.
Un roi remplit de sagesse. Des fois, nous avons tendance à critiquer les décisions de nos supérieurs sans savoir « le pourquoi » de la prise de cette décision…
Belle histoire de morale, mes félicitations à *manuskritur*👏🏿👏🏿👏🏿
C’est possible d’étoffer les contes avec quelques images, ou caricatures par moment dans les écrits?