Mélanie de Vales Rafael : ” Vivre d’art au Mozambique est une chose délicate, une chose qui se fait amoureusement, une chose difficile…”

25 de fevereiro de 2022

By KeMa

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Voici enfin la version française de l’interview à Mélanie de Vales Rafael, du Mozambique !

Cet interview a été réalisé en portugais dans le cadre de ma recherche de master sur le Mozambique. Comme vous le savez, chez ManusKritur on tient à ce que les langues ne constituent pas une barrière à l’accès aux informations et à la connaissance.

Merci à Sarah Apetogbo pour la révision du texte traduit en français.

Chères amies, chers amis, bonne lecture !

Enterview à Mélanie de Vales Rafael

Mélanie de Vales Rafael (1995) est une actrice, styliste et chanteuse mozambicaine. Elle a fait partie du casting du film La République des Enfants, du réalisateur bissau-guinéen Flora Gomes, et est l’actrice principale du film Comboio de Sal e Açúcar (Le Train du Sel et du Sucre, en traduction libre), du réalisateur Licínio de Azevedo. En 2018 elle a été élue Meilleure Jeune Actrice Africaine par l’Académie du prix Sotigui (Burkina Faso). Dans cet entretien, elle nous raconte son parcours et partage quelques expériences et constats sur le panorama artistique de son pays, le Mozambique.

KA : Comment as-tu décidé de devenir actrice?

MdV : La République des Enfants, le premier film dans lequel j’ai joué, a eu lieu lorsque j’avais 14 ans. Je ne savais pas exactement ce que voulait dire être actrice. On avait fait circuler dans mon école une note informative qui disait qu’on recherchait des enfants, des enfants qui parlaient d’autres langues que le portugais et, comme tu le sais, je parle anglais et français. Des copains m’ont inscrite, mais moi je ne voyais pas ce dont il s’agissait. J’ai cru qu’il s’agissait des Olympiades de l’école, ou de quelque chose dans le genre… Du coup je n’en avais pas très envie, parce que j’y avais déjà participé quand j’étais en Sixième (à 14 ans j’étais en Troisième). Le directeur de mon école ou une autre figure importante est venu me chercher, il est venu avec quelqu’un de la production du film La République des Enfants. Ils ont récupéré le contact de ma mère et ont parlé avec elle. À partir de là, les choses se sont enchaînées, j’ai passé le casting qui a donné lieu à ma participation dans ce premier film, aux côtés de Danny Glover.

KA : Peux-tu partager avec nous l’expérience la plus formatrice pour toi en tant qu’artiste professionnelle?

MdV : La toute première, l’expérience dans La République des Enfants. Ça m’a donné le goût du cinéma, quelque chose que je ne connaissait pas jusqu’alors. Ça m’a enchantée, le cinéma, ça m’a ouvert tout un monde. Le cinéma a ouvert une nouvelle porte dans ma tête. Je ne savais pas être sur scène, je ne savais pas interpréter un personnage et celui qui m’a tout appris, en un cours d’une demie-heure lors d’une pause, est Danny Glover. Il était mon partenaire dans le film. Le tournage a eu lieu en 2010, tandis que le film a été lancé en 2012. Ensuite, toujours en 2012 si je ne me trompe pas, j’ai participé a un autre film, Debaixo da lua cheia (en traduction libre, Sous la Pleine Lune), du réalisateur Orlando Mabasso. C’est un film mozambicain. Ce fut alors le tour du troisième film, le Comboio de Sal e Açúcar (Le Train du Sel et du Sucre, en traduction libre) de Licínio Azevedo justement. J’ai adoré jouer dans ce film aussi! D’ailleurs, ce fut grâce au Comboio que j’ai pu participer à un festival de cinéma pour la première fois et apercevoir l’aspect de l’industrie, du marché, du business du cinéma. Alors j’ai eu la confirmation : je voulais faire du cinéma et ne voulais faire autre chose que ça. Il y a eu d’autres films, puis nous étions en 2018, cette année-là on m’a nommée Meilleure Jeune Actrice d’Afrique, on m’a couronnée du laurier que ce prix représente. Et c’était la première fois qu’un tel prix était décerné au Mozambique. Pour moi, c’est ce que je dis toujours : ce prix ne m’appartient pas, ce prix appartient au Mozambique. Il appartient à toutes ces personnes, des hommes comme des femmes, qui rêvent de travailler dans les arts et qui ont besoin, pour ainsi dire, d’un signal pour voir que c’est possible, réellement, qu’ailleurs dans le monde on vit des arts et que cela est tout à fait possible au Mozambique aussi… Évidemment, c’est une chose délicate, c’est une chose qui se fait amoureusement, c’est une chose difficile : ça ne se passe pas toujours comme on l’avait prévu; au Mozambique, malheureusement il n’y a pas fréquemment des lancement de film, un film sort tous les trois ou quatre ans… Du coup c’est compliqué, mais ce n’est pas impossible.

KA : Comment analyses-tu les propositions de travail? Quels sont tes critères?

MdV : Honnêtement j’aimerais pouvoir dire que je me base sur des critères objectifs. Mais la vérité, c’est que j’analyse avec le cœur. La proposition doit me plaire, je dois me sentir à l’aise… Je crois que mon instinct me guide beaucoup dans mes décisions.

KA : Peux-tu citer trois réalisateurs et réalisatrices, ou plus, de ton pays qui, à ton avis, devraient être reconnus d’avantage?

MdV : Licínio de Azevedo, Pipas Forjaz, Stelio António et Gabriel Mondlane.

KA : Dans un interview de 2019 avec MC Roger au Show de domingo, tu as rapporté que l’une des difficultés rencontrées par les jeunes générations du Mozambique est celle de communiquer leurs rêves d’artiste aux parents et d’obtenir acceptation et soutien. Deux ans plus tard, estimes-tu que c’est une difficulté toujours significative?

MdV : Oui, je pense que ça reste significative. Beaucoup de parents “donnent leur soutien” seulement quand nos rêves atteignent la phase où nous pouvons vivre des revenus que nous y tirons, mais ils oublient que nos rêves peuvent en arriver à là seulement si nous y investissons ; or, cela prend du temps.

KA : En tant que figure relevante dans les arts, qu’est-ce qui te tient à cœur ?

MdV : La longévité de nos arts. C’est-à-dire qu’il y a ceux qui sont venus avant nous et qui ont tracé le chemin que nous parcourons aujourd’hui encore ; entre-temps, nous devons lutter pour qu’il n’y ait pas de régression dans ce chemin évolutif. Donc il faut que nous transmettions le témoin aux prochaines générations.

KA : Tu as fait une vidéo pour sensibiliser sur le cancer du sein. Est-ce que tu arrives à percevoir l’impact que cela provoque ? Et, si on veut élargir, arrives-tu à mesurer l’impact généré par les initiatives d’acteurs, d’actrices, d’artistes mozambicains sur les plateformes digitales ?

MdV : Je ne veux pas te mentir en disant que lorsque j’ai fait la vidéo je savais que ça allait atteindre beaucoup de monde. Je l’ai faite il y a quelques années, à l’époque j’utilisais déjà WhatsApp, du coup je l’ai envoyée à quelques personnes. Peu de temps après, j’ai reçu de nombreux appels de personnes inquiètes parce qu’elles croyaient qu’il s’agissait de mon histoire ; en fait, elles n’avaient regardé la vidéo qu’à moitié. Alors je leur recommandais de regarder la vidéo jusqu’au bout et de revenir me dire ce qu’elles en pensaient. Elles revenaient me dire qu’elles l’avaient trouvée très touchante et communicative. Et, par hasard, j’ai réussi à persuader quelques unes de ces personnes à faire le dépistage. Rien que ça, ça m’a réjoui, énormément. Puis, un ou deux ans plus tard, j’ai été conviée par l’organisation Octobre Rose à devenir une ambassadrice de la cause. Ils voulaient aussi l’autorisation pour se servir de ma vidéo. Rien que ça, c’était surréel, et c’est là que j’ai pu mesurer la portée de ma vidéo. J’en étais très heureuse, sans doute.

KA : Quelle perception as-tu du panorama artistique au Mozambique? (La vie, l’événementiel, les manifestations, la diffusion de ces dernières…)

MdV : Pour le moment c’est encore un peu compliqué de vivre d’art au Mozambique. Mais la situation s’est améliorée. Les gens ont l’esprit plus ouvert, notre génération n’a plus ce regard marginalisant sur les personnes qui travaillent dans le domaine artistique. Toutefois, ne vivre que des revenus tirés de son activité artistique reste compliqué. Quant aux événements, nous en avons toujours organisés pas mal, vraiment beaucoup ; c’est juste que leur promotion n’a jamais été des meilleures. Par conséquent, la participation du public n’a jamais été très importante non plus. Maintenant, sur la question de pouvoir vivre d’art, je pense qu’on a encore beaucoup de chemin à faire car, parmi les gens qui vivent d’art ici au Mozambique, nombreux sont ceux qui en parallèle donnent des cours de l’art dans lequel ils opèrent. Ainsi, les danseurs donnent des cours de danse, les musiciens des cours de musique… Mais ça aussi, ce n’est pas pour tout le monde.

KA : Ce que tu viens de dire m’interpelle particulièrement, d’ailleurs parce que je m’en suis aperçue. Justement je voulais te poser la question : est-ce déterminant dans le fait que de nombreuses figures des arts au Mozambique ont une certaine transversalité? J’ai remarqué que les artistes du Mozambique, du moins la jeune génération, ne sont pas « spécialistes » d’un seul secteur. Toi, par exemple, tu es actrice, mais aussi chanteuse et tu as déjà travaillé comme créatrice de mode. Beaucoup d’autres personnes dans les arts mozambicains sont des artistes plasticiens, mais aussi des poètes, des écrivains, des professeurs… Cela a-t-il à voir avec le fait que ce n’est pas possible de vivre rien que (d’une) d’art au Mozambique ou plutôt avec une polyvalence propre au Mozambicain, à la Mozambicaine ? Quelle est ta perception à ce sujet ?

MdV: Bien que nous soyons polyvalents, il faut bien trouver de quoi manger. Et pour trouver de quoi manger c’est toujours bien de diversifier ses activités. En ce qui me concerne, c’est plutôt le fait d’avoir découvert très tôt mes passions et d’avoir réussi, je rends grâce, à ce qu’elles donnent un retour financier. Entre-temps, au fur et à mesure que je grandissait, se rendait toujours plus évidente à mes yeux la nécessité qu’il ne faut pas dépendre d’une seule source de revenus, tout particulièrement dans les arts… Donc, oui, pour moi c’est un peu les deux.

KA : Quelle est ta perception sur la valorisation de la production artistique au Mozambique ?

MdV : La valorisation de l’art produit au Mozambique est encore en deçà de ce que nous souhaitons. Bon, au moins ce n’est plus aussi marginalisé comme jadis, mais les gens y regardent et souvent ils n’y voient pas d’avenir… l’art n’est pas très mis en valeur. Bien sûr, il y a des personnes qui aiment, admirent et suivent le travail de l’artiste. Mais en général, si les gens ne connaissent pas ton travail, il n’y aura pas beaucoup d’engouement pour. Toutefois, si on regarde du côté de la réalisation de spectacles, d’événements, alors oui, c’est sans doute très valorisée. Les gens valorisent surtout ce à quoi ils ont accès, ce qu’ils peuvent regarder, suivre, ce qu’ils peuvent voir de leurs yeux, toucher avec la main. Ainsi, ce downtime de l’artiste, ces périodes où l’artiste ne lance pas de nouvelles créations parce qu’elle ou il est occupé, par exemple, à les préparer justement, ne retient pas d’attention.

KA : Comment le Mozambique est-il reçu hors de ses frontières, dans les milieux artistiques?

MdV : Ce qui se produit d’emblée quand je dis que je viens du Mozambique, c’est que les gens, ceux qui connaissent ou ont déjà entendu parler de ce pays, et cela m’arrive surtout avec les gens d’autres pays africains, se souviennent de Samora Machel. Beaucoup de personnes que je connais ou que j’ai croisées ont connu Samora Machel dans des réunions, des conférences ou des événements de ce type. Aussi, sait-on que dans les années 80 le Mozambique avait une plus vaste collection d’œuvres africaines puisque, comme on me l’a raconté un peu partout, Samora Machel était un grand collectionneur d’objets d’art, il était très passionné et investissait beaucoup dans l’acquisition des œuvres d’art les plus variées… Donc j’ai beaucoup entendu parler de cet aspect et c’est quelque chose qui m’a marquée. D’ailleurs, il reste une figure très admirée pour le travail qu’il a accompli, pour la période historique durant laquelle il a agi… Hors du Mozambique, moi je récolte sans doute ses fruits, on me traite avec une chaleur et une gentillesse que je réciproque. Moi je cueille aujourd’hui les fruits de ce que lui a planté il y a longtemps, bien avant ma naissance… C’est en prenant en compte tout cela que tout à l’heure je disais que nous devons transmettre le témoin aux générations futures.

MdV : Peux-tu partager avec nous un petit peu de tes projets à venir?

MdV : Des projets j’en ai beaucoup, beaucoup, beaucoup. J’allais dire que j’en ai plus que jamais parce qu’actuellement ça devient un peu plus compliqué de donner vie réelle à beaucoup de choses, ce au vu de la conjoncture sanitaire, oui, mais aussi de la conjoncture économique et sociale. La pandémie et tout ce qu’elle entraîne. Alors c’est difficile à partager, car je ne sais pas ce qui va démarrer en premier. Mais je pourrai sans doute te tenir au courant de ce qui va se passer. Je suis confiante que d’ici quelques semaines je serai en mesure de répondre à cette question avec plus de clarté.

KA : Outre qu’en portugais, tu parles, tu écris et tu fais des performances en anglais et en français: comment cela s’explique-t-il? Le processus était-il déjà en acte ou est-ce ton parcours d’actrice qui l’a déclenché?

MdV : Il y avait ou il y a toujours cette chaîne télé, Cartoon Network, et quand j’étais petite nous avions à la maison la télévision par câble. Au moment où j’apprenais à parler, j’aimais beaucoup les dessins animés diffusés sur la chaîne Cartoon Network. À l’époque, les dessins animés étaient diffusés seulement en anglais. Je sais qu’à présent ils sont doublés, mais à l’époque ils étaient uniquement en anglais. Du coup, au fur et à mesure que je les regardais, j’apprenais un mot par ci un mot par là, je posais des questions à mes parents… Or, mon père est traducteur, il traduit de l’anglais vers le portugais, et il parle français et allemand aussi, outre le portugais et sa langue maternelle. Ma mère aussi parle deux langues autochtones du Mozambique, en plus du portugais et de l’anglais. Ainsi, lorsqu’ils se sont aperçu que j’apprenais à parler en anglais, mes parents m’ont beaucoup encouragée : ils répondaient à mes questions en anglais, ils me corrigeaient… Plus tard, j’ai commencé à m’intéresser au français, dont j’ai fini par trouver un cours quand j’étais au collège. C’est pourquoi il ne m’est pas difficile, si je puis le dire, d’assimiler une langue. Et ça m’a ouvert des portes et des horizons, afin que je puisse travailler dans d’autres langues aussi.

KA : Tu as aussi étudié le design de mode à Milan, donc tu parles italien, je suppose. N’est-ce pas?

MdV: Oui, j’ai fait des études de mode à Milan, mais je ne parle pas italien. Je ne le parle pas parce que mon école élaborait pour chaque apprenant un programme personnalisé, ce qui était possible parce que les enseignants, outre l’italien, parlaient tous anglais. Donc mes camarades de promo parlaient italien mais les matières et les consignes m’étaient dispensées en anglais. C’est pourquoi je n’ai appris l’italien. Aussi, j’étais en collocation avec une personne qui parlait portugais et anglais. Et puis à l’école beaucoup communiquaient en anglais… Par ailleurs, je ne sortais presque jamais toute seule ; disons qu’on m’a beaucoup « protégée », et j’ai fini par ne pas cultiver une véritable curiosité envers l’apprentissage réel de l’italien. Toutefois, je comprends cette langue, oui. Je peux écouter et lire en italien. C’est au moment de m’exprimer à l’oral que je bloque, j’ai du mal à me rappeler les mots, les structures…

KA : Tu disais que tu comprends d’autres langues aussi, lesquelles ?

MdV: Je comprends le zoulou, le créole – deux langues créoles. Je comprends quelques langues autochtones du Mozambique. Je comprends l’espagnol et bien sûr, pour avoir vécu en Italie, je comprends l’italien aussi.

KA : Peux-tu me suggérer quelques collègues, tous secteurs artistiques confondus, pour des recherches ultérieures?

MdV : Les tout premiers qui me viennent à l’esprit? Taibo Bacar pour la mode ; et, dans le secteur de la danse, Maria Helena Pinto e Rosa Mário.

KA : Aimerais-tu faire passer un message?

MdV : Un message… Je bloque toujours quand on arrive à cette partie. Mais si je pouvais exprimer quelque chose au monde, je dirais : ne t’éloigne pas de tes rêves, n’arrête pas de rêver et d’agir pour réaliser tes rêves. Peu importe que le chemin soit difficile. Je te garanti que les fruits sont doux et satisfaisants!

KA : En tant que chercheuse, quelle contribution puis-je donner au monde des arts au Mozambique ?

MdV : Peut-être ce lieu réunit-il les conditions pour que nous puissions l’affirmer : le Mozambique a d’innombrables histoires à raconter. Ce qui nous fait défaut ce sont les financements et, dans certains cas, les qualifications.

KA : Kanimambo, Mélanie!

MdV : Merci à toi!

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